Voilà une exposition comme on n'en a jamais vu, et que l'on ne reverra sans doute jamais. Celle d'un fils de boucher devenu l'artiste préféré des Médicis. Bronzino, de son vrai nom Agnolo di Cosimo di Mariano (1503-1572), fait l'objet d'une rétrospective au Palazzo Strozzi de Florence. Un événement. Plus de soixante-dix tableaux prêtés par les musées du monde entier, de Budapest à Vienne, en passant par Los Angeles.
Avec en prime deux découvertes : un nain, enfin dévoilé, et un Christ ressuscité à Nice. Ce dernier était depuis un siècle en panne d'attribution, jusqu'à ce que l'historien d'art Philippe Costamagna et Carlo Falciani, un des commissaires de l'exposition florentine, prouvent qu'il s'agissait d'un Bronzino, un des très rares dans les collections publiques françaises avec celui du Musée de Besançon et ceux du Louvre.
Le nain, lui, était un des familiers de la cour de Médicis. De son vrai nom Braccio di Bartolo, il était surnommé Morgante, comme le géant du poème de Luigi Pulci (1432-1484). Bronzino l'a représenté sur une toile peinte recto verso, de face et de dos. Nu, juste "vêtu" d'un papillon, ce qui heurta la pudeur des siècles suivants. Des mains anonymes affublèrent donc Morgante de pampres, ce qui le fit passer pour une représentation de Silène. Restauré pour l'exposition, il retrouve son sens originel : de face, il se prépare pour une chasse aux oiseaux. De dos, il brandit fièrement les volatiles morts. Bronzino s'invitait ainsi dans la querelle qui opposait peintres et sculpteurs. La peinture, plaide-t-il ici, est supérieure à la statuaire : elle peut non seulement représenter un sujet sous plusieurs angles, mais aussi montrer le temps qui passe, l'avant et l'après.
Car Bronzino n'était pas seulement un peintre d'exception, un de ceux qui, avec Hans Holbein le Jeune (1497-1543), vont contribuer à fixer le genre du portrait de cour en Europe. Il était aussi un intellectuel, et un poète. Ses écrits sont cependant assez peu mis en valeur dans l'exposition. Pudeur moderne, sans doute, certains d'entre eux chantant cette merveilleuse polissonnerie qui, de l'Arétin à Brantôme, fit la gloire du XVIe siècle.
Ses tableaux, eux, sont plus sages. Quoique... Andrew Graham-Dixon, notre confrère du Telegraph de Londres, rappelle que le critique le plus influent de Grande-Bretagne, John Ruskin (1819-1900), haïssait Bronzino, à cause de l'érotisme qu'il percevait dans ses compositions mythologiques.
L'histoire de l'art ne l'apprécie guère plus. Ses presque contemporains Michel-Ange et Raphaël lui font de l'ombre, et le mouvement dont il est un des premiers représentants, le maniérisme, n'a pas la meilleure réputation. Maîtrisant le métier de peintre comme rarement on le fit, les artistes tordaient les corps dans des postures impossibles, plaquaient dans leurs compositions des couleurs que d'aucuns pourraient penser stridentes. Et pourtant... A l'oeil contemporain, accoutumé à d'autres fantaisies, elles apparaissent simplement somptueuses, à l'image de la cour de Cosme 1er de Médicis, qui remit les arts à l'honneur à Florence après que Savonarole en eut dénoncé la futilité.
L'exposition montre tout cela, et de la meilleure des façons. L'accrochage est clair, chronologique d'abord, thématique ensuite, didactique aussi, avec une mention spéciale pour les cartels qui, au lieu d'une étiquette riquiqui sur laquelle le visiteur doit se pencher, préfèrent la forme de doubles pages, à la manière d'un livre ouvert sur un lutrin bas, où le texte explicatif, jamais pédant, se déploie en gros caractères. Ce qui ne gêne nullement la vision sur les oeuvres. Et elles le méritent, ce regard prolongé. Surtout pour les détails parfois cocasses qu'il révèle. Une figure grotesque chantournée sur le bras d'un fauteuil, une sculpture antique bleu Klein posée sur une table, une autre représentant peut-être Suzanne au bain, jouxtant la main d'un joueur de luth, manière encore une fois de montrer que la peinture peut représenter tous les arts, et jusqu'à la poésie : ici, les livres ouverts sont lisibles à ceux qui ont de bons yeux et savent l'italien.
Enfin, même si la Galerie des offices, le principal musée de Florence, a prêté généreusement une trentaine de ses Bronzino, tous n'ont pu être déplacés. A commencer bien sûr par les fresques, et quelques toiles trop grandes. L'exposition est donc l'occasion d'une superbe promenade d'églises en palais à travers la cité toscane, pour découvrir la chapelle d'Eléonore de Tolède - l'épouse de Cosme 1er - au Palazzo Vecchio, la Descente du Christ aux limbes, conservée à l'église Santa Croce, avec ses diables grimaçants aux mamelles pendantes, ou encore le Martyr de saint Laurent, exposé en l'église San Lorenzo.
"Bronzino. Artiste et poète à la cour des Médicis". Palazzo Strozzi
, piazza Strozzi, 5le Monde Florence. Tél. : +39 055 2645155. Sur le Web : Palazzostrozzi.org
. Tous les jours, de 9 heures à 20 heures, jusqu'au 23 janvier 2011. Entrée 10 €. Catalogue 360 pages, 40 €.
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